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Photo by Jan Antonin Kolar on Unsplash

Les sociétés industrielles ont la particularité de posséder, dans leur grande majorité, une longue histoire et des fondations parfois pluriséculaires. Il s’agit d’un univers souvent très structuré, où les hiérarchies et les processus restent relativement figés, ou du moins montrent une grande inertie devant les changements sociétaux. S’il existe bien entendu des exceptions incontournables (citons Tesla), l’essentiel du tissu industriel mondial suit encore des modèles d’organisation hérités du XXe siècle voire du siècle précédent, a fortiori en prenant en compte les petites et moyennes entreprises.

Une prise de conscience est toutefois en train se produire dans un nombre croissant d’industries, avec l’émergence du « 4.0 », qui entend intégrer les derniers développements technologiques aux processus industriels voire même de repenser ceux-ci à l’aune d’un nouveau paradigme: la data.

L’information est donc en train de se placer au centre des stratégies entrepreneuriales et économiques et d’acquérir une valeur sans précédent. Néanmoins, il semble d’après mon expérience que ce phénomène est paradoxalement mal compris et mal géré (lorsqu’il n’est pas ignoré) par les acteurs industriels, qui peinent à se projeter au-delà de la mise en place d’un site de vente en ligne et d’une stratégie de communication digitale. Il y a, de façon plus ou moins flagrante, méconnaissance des opportunités potentielles que fournit une gestion avancée de l’information au sens de l’entreprise, tant d’un point de vue interne (optimisation des processus internes, transmission des savoir-faire, synergies inter-fonctions) qu’externe (développement de nouveaux produits, maîtrise et exploitation des flux de données clients, compréhension des marchés, et bien sûr valorisation du patrimoine…).

Dans les sociétés de petite et de moyenne envergures, les enjeux liés à la bonne gestion informationnelle peuvent être considérés comme secondaires. En effet, essentiellement liées à des écosystèmes régionaux voire locaux, ces entreprises peuvent saisir et gérer sans trop de difficultés l’ensemble des flux informationnels qui les concerne, internes comme externes. En revanche, les sociétés internationales, présentes sur un grand nombre de marchés, ont vu la complexité de la captation et de la gestion des flux croître intensément avec la société de l’information, globalisée, hyper-connectée, multi-plateforme. Il ne s’agit pas d’opposer ici PME et multinationales dans une vision trop manichéenne et pas vraiment réaliste, mais bien de souligner la différence d’échelle, qui devrait théoriquement transformer l’enjeu de la gouvernance de l’information en un élément hautement stratégique.

Cette gouvernance de l’information, que je définis comme l’intégration à un niveau stratégique de la gestion de l’information sous toutes ses formes, peine pourtant à s’inviter à la table des conseils d’administration. Selon mon expérience encore, les initiatives pour mettre en place une gestion informationnelle proviennent généralement des fonctions opérationnelles, qui cherchent à améliorer leur productivité pour répondre aux objectifs parfois exigeants (ubuesques?) de leur hiérarchie. Par exemple, au cours de mes recherches, un responsable de production m’avait annoncé, non sans une pointe de fierté, qu’il ne commandait plus une seule machine qui ne soit pas pourvue « d’une prise RJ45 », autrement dit de la capacité à transmettre ses données de production à un système tiers, et ce même s’il n’avait pas de système tiers. S’il avait bien compris l’importance que la gestion des données allait revêtir au sein de son organisation dans un futur proche, il n’avait aucune stratégie à laquelle rattacher ses choix opérationnels.

La lenteur de la mise en place d’une gouvernance de l’information dans ces grandes structures industrielles n’est pas forcément à imputer au manque de vision ou de compréhension de ses organes dirigeants: c’est justement la taille et la complexité multilatérale de ces entreprises qui rendent la tâche herculéenne. Il s’agit non seulement de prendre en compte les multiples filiales de par le monde (approche horizontale) mais également le réseau souvent complexe de fonctions et même d’entreprises-filles qui les composent (approche verticale). Les projets de gestion de l’information existent évidemment mais sont rarement coordonnés par une stratégie globale et cohérente.

Dossiers

Photo by Wesley Tingey on Unsplash

De cette courte considération personnelle sur la question de la gouvernance de l’information dans les entreprises industrielles, je souhaite proposer une recommandation qui permettrait, à défaut de proposer une stratégie applicable et généralisable, au moins d’en poser les premiers jalons. Il s’agirait d’intégrer, au sein de la direction, un certain nombre de sessions de travail, axées sur l’identification et l’appréciation de tous les flux d’information liés à l’entreprise, tels que cités plus haut, en incorporant des spécialistes des différentes fonctions. L’objectif principal serait de créer une cartographie transversale de ces flux, d’identifier les points de convergence, d’interconnexion et d’interdépendance et surtout, de s’assurer une compréhension commune des enjeux et des défis à relever. Il s’agirait pour moi d’une première étape vers l’établissement d’une véritable stratégie de la gouvernance de l’information.

Cet article a été publié en 2020 dans l’ouvrage collectif Océan Bleu – 2020 par l’association GouvInfo : lien